Résumé

Une anecdotique querelle entre voisins, nous permettant de toucher un mot de la méthode employée sous l'Ancien Régime pour l'entretien des ponts et chaussées (voir la note).

Remarquons le tropisme judiciaire de l'époque avec une pensée pour les malheureux gallinacés victimes de la folie des hommes...


A la requête de Jean Michel tissier en toille et bourgeois de ce lieu d'Olizy, nous Jacques Collignon lieutenant maire avec les échevins de justice du dit lieu soussignez, nous sommes transportez ce jourd huy vingtunième du présent mois de juin sur un jardin potager appartenant à Lienard Pierrot au dit lieu, où étant le dit Jean Michel nous a déclaré que vendredy dernier dix huit dudit présent mois tendis qu'il travailloit aux travaux du Roy sur les ponts et chaussée de Médy bas, le fils dudit Lienard Pierrot auroit tué une poulle dans le dit jardin de son père et que le dimanche suivant jour d'hier vingtième du dudit mois, le dit Lienard Pierrot père en auroit encore tué une autre audit Michel dans le dit jardin qui n'est éloigné de la maison du dit Michel que de quatre à cinq verges environ et le dit Michel nous ayant requis de faire visite de la cloture dudit jardin, en y procédant nous avons reconnu ledit jardin fermé du coté du levant entre ledit Lienard Pierrot et Jacques Lemoine du même lieu avec des palissades de la hauteur d'environ quatre pieds mais avec des ouvertures ou distances entre chaque palissade beaucoup plus que suffisantes pour y passer des poulles et les autres côtez dudit jardin bien fermez et ledit Lienard Pierrot étant present a la ditte visite a qui on a représenté la dernière poulle qu'il avait tué qui était encor gisante sur ledit jardin et qui n'a dénié de l'avoir tué. Ledit Michel lui auroit demandé raison du fait mais ledit Liénard Pierrot lui auroit répondu qu'il n'avoit aucune raison a lui faire sur ce sujet qu'au contraire autant qu'il en trouveroit à la suitte qu'il les tueroit toutes comme il avoit fait les précedentes sus mentionnées. De tout quoy ledit Michel nous a requis le présent procez verbal audit Olizy le dit jour


Note

Les « travaux du roi » sont certainement la fameuse corvée royale qui s'est développée après 1730 sous Louis 15 sur l'initiative de Orry, le Contrôleur Général des Finances (équivalent à un premier ministre). Ce dernier l'avait déjà mis en pratique lorsqu'il était intendant de Soissons. Il s'agissait d'entretenir les routes (surtout des travaux d'empierrement). Seuls les taillables (soumis à la taille) y étaient obligés (en pratique uniquement les campagnards). Cet impôt en nature était très variable dans sa durée (parfois jusqu'à 30 jours), globalement arbitraire dans son application et évidemment impopulaire. Ceux qui habitaient à plus de 3 lieues des chantiers en étaient exemptés. En 1776, Turgot la remplace par un impôt en argent qui frappait même les privilégiés ! Mais Turgot fut vite disgracié et la corvée de nouveau appliquée...
En 1786, Charles-Alexandre de Calonne l'ancien intendant de Metz devenu Contrôleur Général des Finances de 1783 à 1787, lui substitua une imposition en argent.

 

La difficulté de réformer la corvée royale résidait dans le fait que si on la remplaçait par une contribution en argent, il n'était pas certain que les fonds ainsi récoltés serviraient effectivement à entretenir les routes. Paradoxalement, certains habitants des campagnes préféraient la corvée pour être sûr d'avoir des routes en bon état, la chose étant pour eux parfois économiquement essentielle.

 

Néanmoins la corvée royale ne profitait qu'aux routes principales souvent rectilignes et évitant les villages.

 

Par ailleurs, il subsistait toujours des corvées seigneuriales. Celles-ci trouvaient leur origine au moyen-âge comme contrepartie facultative de la concession d'une terre par un seigneur. La toponymie de certains lieux-dits en conserve le souvenir (la corvée, la crouée, etc...).


Glossaire

Médy bas :
La partie basse de la ville de Montmédy où la route de Paris à Luxembourg franchit la Chiers.
Verge :
mesure de superficie, valant le quart de l'arpent. C’était aussi une mesure de longueur valant 12 pieds (3,75 mètres).
Tissier en toille :
usage local signifiant tisseur ou tisserand (on disait aussi tixier).