Résumé

Un cultivateur d’Olizy vend sa récolte de pommes de terre pour être distillée et transformée en alcool, la population s’y oppose. Où l’on voit que l’administration ne plaisante pas avec les subsistances et leur libre circulation. On redoute toujours la révolte paysanne. Le village est coupé en deux : les gens honnêtes qui sont couchés à 9 heures et les autres... Le sous-préfet de Montmédy est héroïque mais les faits se sont passés trois jours avant et la tension est déjà retombée...


Le 24 avril 1818, le sous-préfet du 3ième arrondissement (Montmédy) écrit au préfet de la Meuse :

J’ai l’honneur de vous envoyer une copie du procès verbal dressé par l’adjoint d’Olizy, canton de Stenay contre les individus de sa commune qui se sont opposés à l’enlèvement des pommes de terre achetées par le nommé Nicot chez un particulier de cette commune.

Je n’ai eu connaissance qu’hier de ce procès verbal, et sur le champ, je me suis transporté dans la commune pour prendre connaissance des faits.

Les opposants se sont fondés sur ce qu’ils croyaient qu’il était défendu d’acheter des pommes de terre pour les distiller ; qu’il n’y avait que ceux qui en avaient récoltées qui avaient le droit de la distillation.

J’ai ordonné que le particulier qui avait acheté les pommes de terre, les enlèverait en plein jour et que s’il y avait la moindre résistance, j’ai ordonné au maire de m’en prévenir pour m’y transporter avec la gendarmerie, à l’effet de faire exercer la libre circulation des denrées et subsistances. J’ai chargé le maire de m’envoyer un exprès et comme il n’en est point venu aujourd’hui ; que devait se faire l’enlèvement, j’ai la présomption et la conviction que tout s’est passé dans l’ordre.

D’ailleurs j’avais fait venir quelques uns des plus mutins, que j’ai fortement blâmés, et qui m’ont promis de ne plus se livrer à des actions aussi répréhensibles que celles qu’ils ont commises. Ils m’avaient demandé de leur faire grâce, mais je les ai averti que j’allais les poursuivre par devant la justice, et en effet j’ai remis à Monsieur le procureur du Roi le procès-verbal de l’adjoint d’Olizy avec invitation de poursuivre rigoureusement le chef de l’attroupement.

J’ai fait de violents reproches à l’adjoint d’avoir reçu chez lui les pommes de terre, mais il s’est disculpé, en prétendant que c’était pour empêcher qu’elles ne fussent pillées.

J’attendrai pour vous faire un rapport sur ce fonctionnaire, l’issue de la procédure que va instruire M. le Procureur, car ce ne sera que après le résultat des informations qu’on pourra juger du degré de culpabilité de l’adjoint.

Il était neuf heures du soir quand l’évènement est arrivé, c’est ce qui a été cause du tumulte, parce que ces gens ont pensé que l’acheteur des pommes de terre n’avait pas le droit de les enlever, puisqu’il le faisait pour ainsi dire furtivement, et à une heure indue.

Il paraît que le maire a refusé de se trouver dans cette bagarre, je lui ai fait des reproches de ne s’être point présenté pour rétablir l’ordre et pour le maintenir, à quoi il m’a répondu qu’il ne l’aurait pu dans le moment, les gens honnêtes du village étant ou couchés ou s’étant retirés chez eux, ne l’auraient point appuyé.

Ce fâcheux évènement est le seul, je crois, qui aura lieu dans cet arrondissement.

Dans quelques villages, des misérables ont bien crié de ce que l’on permettait la distillation des pommes de terre ; mais nulle part, il n’y a eu aucun mouvement à ce sujet et je ne pense pas qu’il doive y en avoir.

Dans les premiers instants que la mesure a été prise, il y a bien eu un exhaussement de prix des pommes de terre ; cela s’est étendu même jusqu’au blé.

Mais maintenant la distillation n’a aucune influence sur les blés, car hier au marché de Montmédy, il a éprouvé une baisse considérable. Il y a lieu d’espérer que cette baisse se soutiendra pour les raisons suivantes :

1 Le peuple s’est nourri en grande partie d’orge et de pommes de terre.

2 Les propriétaires de blé l’ont presque encore tous sur leurs greniers ; ils n’en ont vendu que très peu pendant l’hiver.

3 Et enfin l’apparence de la belle récolte qui se prépare déterminera les détenteurs de froment à l’amener sur les marchés publics et il est à présumer que la concurrence y établira l’abondance et la réduction des prix.

 

PS : M. le maire de Montmédy vient de me certifier qu’il y avait hier sur le marché 130 sacs de blé et s’est vendu 30, 31 et 32 livres le sac, moitié est restée au hallage pour le prochain marché, ainsi il n’y a point à revenir sur la mesure de distiller des pommes de terre.

Le procès-verbal de l’adjoint au maire d’Olizy :

Ce jourd’hui le vingt avril mil huit cent dix huit, vers les neuf heures du soir,

Nous Gérard Meunier, adjoint de la commune d’Olizy, /.../ étant revêtu de mes pouvoirs, pour la police, étant requis par la population d’Olizy de me transporter au domicile du nommé Pierre Pierrot dudit Olizy, propriétaire, à l’effet pour y arrêter une voiture à deux roues qui étoit chargée environ de trente boisseaux de pommes de terre, venant dudit Sieur Pierre Pierrot, propriétaire audit Olizy m’a déclaré les avoir vendues au sieur Nicolas Nicot, maire de la commune de Nepvant, distillateur ; tous les habitants étant au nombre d’environ deux cent, plusieurs ont déclaré qu’ils avoient demandé des pommes de terre dont s’agit, à acheter pour vivre, que le dit Pierrot s’y étoit refusé ; Vu le tumulte du monde, pour prévenir tout inconvénient j’ai arrêté la dite voiture qui appartient au meunier de Nepvant, appelé Lorcet fils, qui nous a déclaré en présence de Jean-Baptiste Riom, Jean-Baptiste Deprette et de Jean-Baptiste Cuny, tous les trois membres du conseil qu’il reconduisoit les pommes de terre, chez Nicolas Nicot, de tout quoi j’ai dressé le présent procès verbal pour servir et faire valoir à ce que de raison.

L’avis du ministère de la police :

Paris le 8 mai 1818,

 

J’ai reçu votre rapport relatif à un attroupement qui a eu lieu dans la commune d’Olizy, à l’effet d’empêcher le départ de deux voitures de pommes de terre qu’un habitant avait vendues à un distillateur.

Le prétexte qu’on a allégué ne peut faire disparaître le délit, et l’adjoint en ordonnant que la denrée fût déposée chez lui, s’est conduit d’une manière très répréhensible. Il paraît que le mal a été réparé par la fermeté du sous-préfet ; il y a lieu toutefois de rechercher pourquoi cet administrateur n’a été informé de cet événement que trois jours après : sans doute notre situation sous le rapport subsistances ne permet pas de craindre que l’exemple soit contagieux ; mais il importe que dans toutes les circonstances l’esprit de sédition soit promptement réprimé.

Je vous prie, Monsieur de me faire connaître le résultat des poursuites judiciaires, ainsi que les mesures administratives que vous avez crû devoir prendre à l’égard de l’adjoint

/.../

Signé pour le Ministre secrétaire d’Etat au département de la police générale

Le préfet répond ce qui lui vaut les félicitations de sa hiérarchie en ces termes :

Vous m’annoncez que neuf individus ont été arrêtés et vont être poursuivis à la requête de Monsieur le Procureur du Roi, vous ajoutez que les dépositions faites par des témoins devant le juge de paix de Stenay ayant confirmé les soupçons qui s’étaient élevés sur la conduite de l’adjoint au maire et d’un officier municipal de la commune d’Olizy et les ayant signalés comme moteurs ou instigateurs de ce mouvement, vous avez pris deux arrêtés pour les suspendre provisoirement de leurs fonctions, vous réservant de me faire des propositions ultérieures suivant qu’il sera prononcé judiciairement.

Je ne peux qu’approuver les mesures de fermeté et de vigilance qui ont été prises à l’occasion de cet événement et vous remercier de l’attention que vous avez eue à m’en instruire. J’attendrai le résultat de l’information judiciaire, ainsi que les propositions ultérieures que vous me ferez sur les fonctionnaires présents.

En 1819, le tribunal de Montmédy juge au contraire que la conduite de l’adjoint au maire avait été « prudente » !

Le préfet - avec l’autorisation du ministre de l’intérieur - le réintègre dans ses fonctions.

Source : archives départementales de la Meuse - 3 M 226


Glossaire

Hallage :
en rapport avec le marché qui se tient sous une halle. Un droit de hallage était versé à la commune pour pouvoir vendre sous une halle.
Misérable :
qui est digne de pitié (pas de sens péjoratif ici)