Le 9 juin 1908 Léon Rosquin de Vrigne aux bois écrit au Sous-Préfet de Montmédy :

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Comme repos du dimanche je prends la liberté d’aller à la pêche comme mes camarades le font aussi, mais voilà un inconvénient qui nous arrive, c’est que le directeur de l’usine d’Olizy prend plaisir à faire évacuer de l’acide dans la rivière, aliment qui détruit tout le poisson, donc à ce sujet Monsieur le Sous-Préfet, moi et mes camarades nous avons décidé de vous mettre au courant du fait

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Un rapport est demandé à l’administration des Eaux et Forêts :

16ième conservation
Département de la Meuse
Inspection de Montmédy
Cantonnement de Dun sur Meuse

 

Direction générale des Eaux et forêts

Rapport de M. Ladan, inspecteur adjoint des eaux et forêts à Dun sur Meuse

Par lettre du 22 juin 1908, M. le Sous-Préfet de Montmédy fait connaître que, suivant une plainte du 9 juin, du sieur Rosquin Léon, demeurant à Vrigne aux Bois (Ardennes), l’usine d’Olizy ferait évacuer dans la Chiers des liquides acides, de nature à détruire le poisson de cette rivière.

Le 3 juillet courant, accompagné du brigadier Rogié et du garde Gérard, nous nous sommes rendu à la fonderie d’Olizy, à l’effet d’y procéder à une enquête, que nous avons faite en présence du Directeur de cette usine.

Nous donnons ci-dessous les résultats de nos visite et recherches.

La fonderie d’Olizy se trouve sur le territoire de la commune d’Olizy, à 300 mètres du village de ce nom et à 2000 mètres environ de Lamouilly, localité située sur la voie ferrée de Sedan à Longuyon.

Son emplacement est limité, d’une part par la Chiers, et d’autre part par un canal d’amenée, d’une longueur de 300 mètres, une largeur de 4 mètres, une profondeur moyenne de 1m 50 et communiquant avec les eaux de cette rivière.

Cent ouvriers y sont occupés, en ce moment, à la construction de petits objets ou ustensiles en fonte tels que : réchauds à pétrole ou à gaz, grilles, presse-papier, etc.

L’acide sulfurique y est employée au décapage à la dose de un litre pour 1000 litres d’eau.

Cette usine ne possède aucun bassin de décantation ou d’épuration ; les bains sont conservés dans des cuves en bois, d’une capacité de 10 hectolitres, et on ne les écoule dans le canal que lorsqu’ils sont complètement neutralisés, qu’ils n’ont plus d’action sur la fonte et ne peuvent plus nuire aux poissons.

Afin de contrôler ces assertions, qui émanent du Directeur, nous avons prélevé un échantillon d’un bain tel qu’il doit être déversé dans les eaux du canal et par conséquent mélangé avec celles de la Chiers, rivière peuplée de barbeaux, chevennes, brèmes, brochets et de truite.

Aucun poisson mort n’existait dans le canal. Les eaux s’y trouvent relativement claires, et aucun dépôt résiduaire, tant le long de ce canal que sur le cours de la Chiers, ne fut constaté.

Nous avons remarqué particulièrement à proximité des déversements des bains, une très grande quantité d’alevins à la surface des eaux, ainsi que des poissons d’assez fortes tailles. Au surplus, le garde du triage de pêche, qui habite Olizy et qui est à même de surveiller, très étroitement, les écoulements provenant de cette usine et plusieurs pêcheurs demeurant dans la même localité, nous ont déclaré n’avoir jamais vu de poissons empoisonnés par les résidus flotter au dessus des eaux, soit proche du déversoir, soit dans la Chiers.

D’ailleurs le Directeur aimant la pêche et s’y livrant est le premier intéressé à la conservation du poisson.

Quoiqu’il en soit, afin d’éviter des plaintes et de dissiper le doute que l’on peut avoir : qu’il reste encore dans les bains déversés quelques éléments caustique nuisibles aux poissons, nous avons fait ressortir au Directeur la nécessité d’un bassin d’épuration prescrit par l’arrêté préfectoral du 13 août 1907 sur le déversement des résidus industriels dans les cours d’eau. Le Directeur nous donna la certitude, que dans un délai de deux mois, il ferait construire, non loin de l’usine, un puits mort avec infiltrations, destiné à recevoir tous les liquides acides de la fonderie.

Avant de terminer, nous pensons prudent de faire savoir que la plainte ci-jointe est l’œuvre du sieur Rosquin, ouvrier de forges de mauvaise réputation, qui a été, il y a deux ans environ, renvoyé du dit établissement où il travaillait pour indiscipline. Habitant Vrigne aux Bois, village situé entre Sedan et Charleville, c'est-à-dire à plus de 60 kilomètres d’Olizy, il pêche très rarement dans la Chiers. Depuis son départ de ce dernier village, il a été seulement aperçu, à trois reprises différentes, sur le cours de cette rivière. Sa dernière venue daterait de longtemps. Comment dans ces conditions ce Rosquin peut-il affirmer que le Directeur précité prend plaisir à faire évacuer de l’acide dans la rivière ?

Nous croyons plutôt que sa plainte a pour mobiles des sentiments méprisables : la haine et la vengeance sournoise.

 

Dun sur Meuse, le 8 juillet 1908.
L’inspecteur adjoint des Eaux et Forêts
Ladan

La proposition de l’inspecteur adjoint est approuvée le 16 juillet par le préfet.


Note

La plainte est formulée alors que son auteur serait parti depuis deux ans. Par ailleurs, il est mentionné deux fois : « moi et mes camarades ». D’où cette impression que celui qui a porté plainte serait en fait le porte-parole d’autres ouvriers, toujours employés à l’usine, et restés dans un prudent anonymat…

 

A chacun de se forger - c’est le mot - son avis sur cette affaire et aussi sur le travail de l’administration.

 

Mais on peut remarquer que l’inspecteur adjoint écrit systématiquement le mot « directeur » avec une respectueuse majuscule…

Rosquin, lui, se contente d’une minuscule.

 

Au fait le directeur péchait en amont ou en aval de l’usine ?

 

 

Le directeur de la fonderie avait aussi écrit le 15 juin 1908, une lettre rassurante au maire d’Olizy :

Monsieur le Maire de la commune d’Olizy,

 

Comme suite à la communication que vous nous avez faite relativement à des liquides acides que nous faisons déverser dans la Chiers, nous avons l’honneur de vous faire connaître que les bains qui nous servent pour le décapage sont composés de 1 litre d’acide sulfurique à 44° par mille litres d’eau. Nous les évacuons dans la rivière après que l’acide qui se trouve dans le bain est épuisé, nous sommes donc absolument certains que ces liquides n’ont aucune action nocive sur le poisson.

 

Veuillez agréer, monsieur le Maire nos salutations distinguées.

 

Pour Ch André &Cie
Le directeur